Le Temps, 23.03.2006
Ils sont médecins, ingénieurs, employés dans des compagnies comme Procter & Gamble, fonctionnaires à l'ONU ou vignerons. La journée, ils travaillent; le soir, ils enfilent leurs fracs et montent sur scène. L'Orchestre symphonique genevois regroupe une foule bigarrée d'individus comme vous et moi. Ils ont choisi de tirer parti de carrières avortées en musique pour s'investir dans un orchestre de bénévoles. Et le résultat, ce sont des concerts qui respirent un parfum unique, comme celui donné lundi soir au Victoria Hall de Genève.
Amateurs, oui. Mais de jeunes professionnels en voie de formation ou fraîchement sortis des conservatoires viennent consolider les rangs. Depuis bientôt trente ans, l'Orchestre symphonique genevois a fait du chemin. Le chef Hervé Klopfenstein continue à insuffler sa passion et ses recettes de pédagogue.
Il n'était pas le seul à dominer le podium lundi soir. Le sourire aux lèvres, le soleil dans les yeux, Sylviane Deferne a livré une interprétation puissamment habitée du Deuxième Concerto de Rachmaninov. La pianiste genevoise marie l'eau et le feu. Son corps se ploie sous les coulées d'arpèges, les doigts filent comme sur une cascade de braise. Son jeu traversé de soudaines accélérations - quoique maîtrisées - reflète une vision claire et dense. Attaques franches, délicatesse du toucher: Sylviane Deferne trouve un fort bel équilibre entre fermeté et souplesse.
Si l'orchestre l'écrase parfois, si l'on relève des décalages et défauts d'intonation de-ci de-là, l'engagement est total. On admire en particulier le pupitre des violons, vaporeux dans l'introduction du mouvement lent. La 8e Symphonie de Dvorák recèle plus d'obstacles. La ligne se fragmente par instants («Adagio»). Le son s'affaisse dans les nuances «forte». Mais l'esprit est là (3e mouvement lyrique, «Finale» embrasé), celui qui fait défaut certains soirs aux professionnels.
Julian Sykes