La musique peut se passer de diplômes. C'est le credo d'Hervé Klopfenstein, responsable d'orchestres amateurs:

Entretien avec la journaliste Dominique Rosset, paru dans l'Hebdo No 9 du 26 février 1998.

Ni fausse modestie, ni complexes : les orchestres dont s'occupe Hervé Klopfenstein foncent dans le grand répertoire avec un solide appétit et le servent plutôt bien. Ainsi, placés depuis plusieurs années sous la direction de ce quadragénaire expérimenté, l'Orchestre Symphonique Genevois et l'Orchestre Symphonique et Universitaire de Lausanne proposent chacun, trois ou quatre fois par année, des programmes comprenant des concertos et des pages symphoniques d'envergure... D'entrée de jeu, Hervé Klopfenstein affirme son credo:

 

"Les chefs-d'oeuvre ne sont pas réservés exclusivement aux professionnels. Ils appartiennent à tout le monde. Mon rôle est d'en garantir l'accès à des musiciens amateurs et de participer ainsi à la qualité de vie associative que nous connaissons ici".

Ce qui n'est pas de tout repos. N'importe quel chef d'orchestre peut en témoigner: il est techniquement plus facile de faire sonner un orchestre professionnel, rodé par une pratique quotidienne, que de construire une interprétation cohérente, et qui ne dénature pas la partition, avec des musiciens se réunissant une ou deux fois par semaine:

"Dans ce cas, il s'agit plutôt de recréer collectivement une oeuvre, remarque Hervé Klopfenstein, de construire à partir de ce que les gens peuvent donner." Et c'est justement ce qui enthousiasme ce chef atypique, "pas du tout frustré" de travailler avec des amateurs: "D'autant que le niveau technique s'est incroyablement élevé, ces dernières années, la démocratisation des études musicales porte ses fruits!"

Face à des ensembles dans lesquels les musiciens viennent par passion et pour "tirer le maximum de satisfaction de leurs loisirs", Klopfenstein tient le rôle d'animateur musical, d'organisateur et de concepteur de base:

"Maintenir l'intérêt musical, susciter l'envie de chacun de se dépasser dans la pratique de son instrument et être très efficace, lors du travail en répétition, pour que chaque musicien se sente payé en retour. En fait, il faut que l'orchestre sonne bien, à chaque fois".

Mélangeant allègrement âges et professions, les amateurs apportent une qualité d'engagement et de plaisir qui, avec les années, sont devenus de plus en plus indispensables à Hervé Klopfenstein.

"Avec, en face de soi, des gens d'horizons aussi différents, on ne peut pas fonctionner en vase clos. "

C'est ainsi que, avec chacun des ensembles qu'il dirige (aux deux orchestres symphoniques s'ajoutent l'Orchestre du Conservatoire de Lausanne et la célèbre Landwehr de Fribourg), il organise des événements hors routine -Créations musicales, théâtrales, participation à des colloques, à des manifestations interdisciplinaires:

"Plus on rassemble les réflexions sur l'art, plus je suis heureux. Et ces occasions d'échanges et de collaboration seraient difficilement pensables avec un orchestre de professionnels."

Ainsi, même auréolé d'un moindre prestige que certains de ses confrères, Hervé Klopfenstein se sent bien à sa place. Il utilise sa direction carrée, précise, et son expérience du métier au service d'enjeux qui dépassent le cadre habituel du concert. De toute évidence, sa formule fonctionne: même aux prix d'un examen d'entrée, les musiciens sont nombreux à tenter l'aventure, à vouloir s'immerger dans des splendeurs musicales collectives. Et personne ne s'ennuie devant son lutrin, surtout pas le chef qui revendique l'aspect spécifique et valorisant de son métier:

"On ne peut pas l'exercer "en attendant" un autre poste: c'est un travail à part entière, à long terme, et qui permet vraiment de s'ouvrir l'esprit."

Dominique Rosset